Qu'est-ce que je fabrique ?

Écrivain, docteur et enseignant en philosophie, j'anime différents espaces web dédiés à cette discipline tout en m'intéressant aussi à la psychanalyse et à la création poétique contemporaine. Après avoir conçu différentes versions d’un site baptisé « Tuyau(x) » au début des années 2000, je me suis tourné 10 ans plus tard vers l’utilisation (plus pratique et plus légère) d’une grande variété de blogs – pédagogiques, rédactionnels, documentaires ou informatifs - d'où j'ai tiré la matière d'une quinzaine d'ouvrages (voir Livres). Par ailleurs je dirige les éditions Les Contemporains favoris, initialement dévolues à la poésie contemporaine, puis ouvertes progressivement à la philosophie et à la psychanalyse. Je voudrais tenter d’expliquer ici comment s’articulent ces différentes activités et ces domaines de recherche tout au long de mon parcours.

Le sens et le contenu de mes recherches

Ma démarche de pensée n’est pas exclusivement ni peut-être intrinsèquement philosophique. Je me présente volontiers comme professeur de philosophie et étudiant en non-philosophie… Je suis certes amoureux de la philosophie (ou de la "sagesse"), ce qui reste une bonne raison de ne « jamais me dire philosophe », suivant le bon conseil d’Epictète. Mais je considère que les sciences humaines et surtout la psychanalyse ont ravi à la philosophie (en tant que discipline distincte) bon nombre de ses objets. Et je ne partage pas le préjugé couramment admis - colporté ad nauseam à travers des médias d'un autre âge - selon lequel les philosophes devraient se mêler de tout et donner leur avis éclairé sur tout. Je ne défends pas vraiment non plus une conception élitiste ou réservée de cette discipline. Je considère plutôt que la philosophie doit désormais être "traitée" et analysée comme un champ d’investigation (autant qu'un champ d'objets) tout à fait ordinaire et particulier - même si ce champ devait paradoxalement être défini comme celui de l'universel : je dirais plutôt une certaine version-de-l'un. Pareille relativisation de la philosophie ou du Philosopher en général, aucun philosophe « de profession » et/ou ayant encore la « foi » philosophique ne saurait l'accepter. Répétez ces dires au beau milieu d'un colloque ou parmi une assemblée de professeurs de philosophie, et je ne donne pas cher de votre avenir au sein de cette congrégation...

Hérésie, donc. C’est ici qu’intervient le point de vue « non-philosophique » en tant que tel, sous les auspices de François Laruelle qui a inventé cette « discipline » ou cette méthode pour « introduire la démocratie dans la pensée » (à commencer par une certaine parité sciences/philosophie). Un « non-» qui ne revient pas à nier ou à condamner la philosophie, mais bien au contraire à étendre sa compétence et à diversifier ses pratiques à proportion que l’on réduit sa suffisance et que l’on suspend son autorité « naturelle » ;  libérer la philosophie en la soulageant de ce que j’appelle toujours avec Laruelle  le « Principe de philosophie suffisante », lequel se traduit à la fois par une position traditionnelle de maîtrise (évidemment illégitime) vis à vis des autres discours, et une prétention métaphysique incurable à vouloir définir, et même co-constituer, le réel. Voilà pourquoi je me considère comme simple « locataire » (y compris à titre professionnel) dans la « maison » philosophie, bien trop académique à mon goût.

Avec la philosophie, mon second domaine de prédilection est la psychanalyse, en particulier dans la mouvance de l'enseignement de Lacan, auquel j'ai consacré ma thèse de doctorat. Encore un auteur qui n'a pas forcément très bonne presse - même si sa renommée est immense - parmi les philosophes de profession : ceux-ci en général le détestent et le délaissent, n'ayant pas la patience de le lire (ce qui en dit long sur la temporalité, si je puis dire, de la comprenoire des philosophes). "Résistance", encore et toujours, de la philosophie à la psychanalyse... Cela ne fait pas de moi pour autant un béni-oui-oui de la psychanalyse, et je ne me définis pas spécialement comme "lacanien". D'ailleurs qu'on ne s'y trompe pas : il existe aussi un "Principe de psychanalyse suffisante", tout aussi redoutable, voire à certains égards plus mesquin. Le principe philosophique vous interdit de ne pas philosopher (car pour justifier la non-philosophie il faut encore user du langage philosophique : c'est l'argument d'Aristote, le plus grand sophisme de l'histoire de la pensée) ; le principe psychanalytique vous interdit de discuter psychanalyse si vous n'exercez pas la psychanalyse (argument d'autorité de la pratique, en quelque sorte). Or je ne suis pas praticien, justement, ne m'y étant pas autorisé (préférant écrire et enseigner, tout simplement).

Me voici donc en porte-à-faux, vis-à-vis des deux disciplines dont je m'occupe quotidiennement ! Incidences sur ma carrière, effets collatéraux... Me recommandant de Derrida (que j’ai beaucoup lu et pratiqué à mes débuts), de Lacan (auquel j’ai donc consacré ma thèse) et de Laruelle « l’obscur » (mon directeur de Thèse), il n’est guère surprenant que les Universités françaises aient poliment décliné mes services : trois penseurs haïs par l’Université ! C’est ainsi qu’au moment de solliciter l’habilitation aux fonctions de maître de conférence auprès de la fameuse section 17 du CNU (ce « repère de crapules » comme disait Deleuze), voici déjà un bout de temps, je m’entendis annoncer non sans ironie que l’Université n’avait pas encore créé de poste de « non-psychanalyste » à ma mesure, que par conséquent je devrai repasser. Dont acte ! De ce fait j'ai enseigné la philosophie dans le secondaire en tant que professeur certifié (ayant loupé l'agrégation à l'issu de la maîtrise, je n'ai jamais pris la peine de me représenter), j'ai écrit plusieurs livres, fabriqué des sites internet, publié des centaines d'articles sur des dizaines de blogs, jusqu'à me qualifier moi-même de « sérial-blogueur ».

Pourtant je ne suis guère un « blogueur » au sens où ce terme suppose un épanchement quotidien, fait d’humeurs ou d’opinions portant sur l’actualité ou l’air du temps (même philosophique). Je déteste ce genre de bavardage, même spirituel, cultivé, « élevé ». Tant qu’à faire, je suis un maniaque de l’information brute. C’est pourquoi j’alimente depuis longtemps de nombreux fils d’informations dans les domaines qui m’intéressent (des nouvelles technologies jusqu’aux publications philosophiques, en passant par la psychanalyse ou la poésie). Et par ailleurs (dualité stricte), je « pratique » la théorie sans concession, en m’efforçant de ne pas jargonner (lacanien ou autre) mais seulement d’être clair et précis. Je n’écris pas d’« essais » tous public, je décline tout passage à la radio ou à la TV (ne croule pas non plus sous les propositions dans ce sens : tant mieux), et ne sors pas compulsivement tous les trois mois un nouveau "bouquin" (vulgarité de ce mot !). Depuis vingt-cinq ans j’ai publié dans diverses revues et collaboré à nombre d’ouvrages collectifs - que je ne m’amuserai pas à lister ici -, j'ai participé à quelques colloques, de philosophie comme de psychanalyse, enfin j'ai publié une quinzaine d'ouvrages personnels. Or, force est de reconnaître que le "format livre", au sens traditionnel du terme, m'intéresse assez peu... Le poète Christophe Tarkos disait : "je ne sais pas écrire de livres parce que j'écris des poèmes". Eh bien, peut-être davantage à la manière du poète que du philosophe, J'écris avant tout des textes - critiques ou théoriques - se présentant comme relativement autonomes. Les réunir, ou non, en "livres", ne change rien à leur statut. Par ailleurs, en ce qui me concerne, publier sur internet constitue une expérience en soi, pleine et entière, novatrice et suffisamment excitante...

Essentiellement, sur le long cours, je continue donc de travailler sur la psychanalyse lacanienne (considérant que la philosophie manque l'essentiel si elle ne tient pas compte de son symptôme historique, la psychanalyse), et parallèlement je creuse toujours plus l’approche laruellienne « non-standard » (ou générique) de la même philosophie (devenue lacanienne entre-temps…), ces deux recherches étant amenées à fusionner via une méthode que j’ai qualifiée de « dualyse » : la dyade philosophie-psychanalyse reste mon matériau, et la dualyse non-philosophique constitue ma méthode. La dualyse elle-même est une articulation très spéciale de la philosophie (comme discipline dite générale) avec les sciences (comme disciplines dites régionales) mais remettant en cause justement cette hiérarchie du général et du régional, et techniquement permettant une mise à distance, une redéfinition et une réexploitatation d'un matériau conceptuel quelconque. Le produit de ce travail sera, à l’horizon de 2026-2027 la double publication d’un « Lexique lacanien de philosophie », et d’un « Lexique non-philosophique » (car selon moi la dualyse se concrétise littérairement en « terminologie » - non lexicologique et non-encyclopédique), en attendant une série de textes plus expérimentaux et sans objets définis (hors-concepts). Mes écrits antérieurs ayant fait l'objet de publications n’en sont pas à la phase dualytique elle-même mais seulement à la phase préparatoire : celle où s’expose un matériau philosophico-psychanalytique riche de sa propre rationalité.

A ce propos, outre Lacan (pour la psychanalyse) et Laruelle (pour la non-philosophie), la meilleure synthèse entre psychanalyste et philosophie, ce matériau philosophico-psychanalytique dont je parle, est constituée à mes yeux par l'oeuvre philosophique d'Alain Juranville qui se présente sous la forme d'un système philosophique abouti et impressionnant. (Je ne me prononce pas sur sa validité, d'un point de vue laruellien je le considère seulement comme un matériau de premier plan.) C'est pourquoi outre un lexique lacanien et un lexique laruellien, j'ai entrepris un lexique de Juranville ("L'Individu et son Autre"), les trois étant en cours d'écriture. Concernant mon travail sur Juranville, l'on trouvera sur cette page une introduction et une présentation détaillée du projet.

Ultime remarque : si la philosophie se veut raison de l’existence, la psychanalyse est plus rationnelle encore – moins « délirante » en un sens - car elle ne s’éloigne jamais d’un réel qui ne laisse pas d’insister. Du côté « non-philosophique », précisons bien que la pensée de Laruelle, contrairement à ce que certains disent sans l’avoir lu, ne saurait être taxée de spéculative et encore moins de « délirante », puisqu'elle revendique au contraire un rapport étroit avec la science, notamment la quantique (sans se prétendre elle-même science ni être une épistémologie), et là encore affirme une dépendance stricte (unilatérale) à l’égard du réel. Lire Laruelle, c’est assurément fréquenter l’école de la rigueur, et c'est aussi faire preuve d'un réalisme théorique radical.

« Ecrire », éditer

Je n’ai jamais séparé mon intérêt pour la pensée philosophique et ma passion pour l’écriture poétique. Non pas qu’elles puissent se confondre, ou se mélanger ; je ne crois pas à l’unité d’une pensée ou d’une écriture poético-philosophique. Bien au contraire, leur différenciation doit être strictement maintenue. Pourtant il y a bien un dénominateur commun à mes différents centres d'intérêt, qu'ils soient littéraires ou philosophiques ; une problématique que j'ai mis du temps moi-même à identifier et qui est celle des "écritures-limites", de la lisibilité en général. A y bien réfléchir, c'est cela qui m'a poussé à la fois vers des auteurs particulièrement retors comme Derrida, Lacan, Laruelle, Valdinoci, Juranville, ET par ailleurs vers des formes d'écriture poétique expérimentales, hyper-formalistes, ou bien « élémentaires » et concrètes (poésies visuelles et sonores, performances, ready-made généralisé à la Filliou). Je suis encore tenté par l’écriture poétique (= expérience d'écriture en tant que telle), même si je me considère foncièrement comme un « poète mineur »… J’ai d'abord édité des fanzines et des revues à la fin des années 80 (Passagère(s), La Poire d’angoisse, Tuyau… ces deux dernières publications étant conçues en soi, littéralement, comme des performances, en l'occurrence éditoriales), puis j’ai créé les éditions de littérature contemporaine « Les Contemporains favoris » dans les années 90 (avec notamment la collection parodique et quelque peu subversive des "Morceaux choisis"), éditions que j'ai ressuscitées dans les années 2010 en y ajoutant plusieurs collections de philosophie et de psychanalyse. De la poésie concrète « élémentaire » aux blogs et aux réseaux connectés, en passant par la publication de livres imprimés ou numériques, voici quelques jalons d’un parcours éditorial que je ne suis pas spécialement pressé de « boucler ».

Enseigner

J'ai enseigné la philosophie dans le secondaire durant vingt-cinq années, avant de faire une pause "entreprenariale" de 2 ans (directeur d'éditions), puis de rempiler cinq ans... jusqu'à la retraite tout récemment. Je suis plutôt ouvert aux innovations et aux expérimentations pédagogiques, notamment celles utilisant les supports numériques ; sympathisant à l’égard de ce qu’on nomme parfois les « nouvelles pratiques philosophiques » à l’école et dans la cité (car il y a bien moins de « suffisance » chez ces nouvelles générations de philosophes qu’avec les anciennes). Par ailleurs, en mars 2011 j'ai créé sur Facebook le groupe de discussion "Enseigner la philosophie" où échangent désormais plus de 4000 professeurs de philosophie sur des questions de pédagogie et de didactique de cette discipline, groupe que j'ai longtemps administré seul, puis co-administré, enfin dont je me suis retiré puisque je n'enseigne plus désormais.

Blogs : Hérésies non-philosophiques ; Lexique de Laruelle ; La clarté Lacan ; L’individu et son Autre ; Ecrits de Psychanalyse ; Le Discours philosophique ; Erotique de l’Amitié ; Cours de philosophieThéorèmes du Virtuel ; La Poésie élémentaire ; Les Contemporains favoris ; Les Livres de philosophie 

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